Le roi de la paresse servi par le spectacle vivant
Si Oblomov, personnage né sous la plume d’Ivan Gontcharov en 1859, est considéré comme un véritable mythe littéraire en Russie, on ne peut hélas pas en dire autant sur la scène culturelle hexagonale. Cette figure emblématique de l’anti-activisme gagnerait pourtant à être connue dans une société où notre temps de cerveau disponible passe après celui de la consommation ou de l'agitation. Fort heureusement Dorian Rossel et son équipe pallient un peu cette trop grande discrétion de l'anti-héros en proposant une adaptation théâtrale convaincante.
Oblomov est donc un paresseux. Mais pas n’importe lequel, puisque de son nom sera déclinée une étiquette, « l'oblomovisme », censée désigner « un mélange d'apathie, de léthargie, d'inertie, d'engourdissement, de rêverie inactive, qui se manifeste dans l'horreur du travail et de la prise de décision […]*» (les plus lucides d’entre nous se reconnaîtront tout seuls). La posture idéale en somme pour fuir les luttes de pouvoir et avant cela : les responsabilités auxquelles tout un chacun se retrouve fatalement confronté. Au demeurant, Oblomov est un personnage terriblement sympathique puisqu’il garde tout de même l’usage de ses neurones pour remettre en cause avec force raisonnements la nécessité d’agir ou de produire à tout va. Tel le misanthrope de Molière, Oblomov est d‘une intransigeance morale qui force le respect des âmes les plus scrupuleuses.
Sur le plateau dirigé par Dorian Rossel, le roi des paresseux ne se limite pas à faire de la rhétorique sur l’anti-activisme. La pièce offre en effet une matière théâtrale suffisamment riche pour produire (pardon !) un théâtre à la fois divertissant et exigeant. C’est ainsi que le spectacle s’ouvre sur le grand appartement d’Oblomov tapissé comme un immense cocon prêt à amortir tout en douceur les nombreuses chutes du maître des lieux et de ses compagnons en proie à . Parmi eux, il y a d’ailleurs Zakhar, valet éminemment sympathique puisqu’il rivalise de fainéantise avec son maître, donnant lieu à des dialogues très drôles. Signalons au passage que ce personnage est incarné à merveille par un comédien manifestement très investi entre son allure physique et une gymnastique de cascadeur lui permettant d'enchainer les chutes.
Oblomov ayant beau fuir le commerce des hommes, il n’échappe pas aux intrigues amoureuses ainsi qu’aux connaissances qui viennent toquer à sa porte. Dorian Rossel respecte les discussions animées et parfois profondes que suscitent toutes ces situations, et s’offre même le luxe d‘intégrer quelques chansons ou parties instrumentales pour habiller l’ensemble. La scénographie a elle aussi de quoi séduire en dressant en fond de scène un rideau plastique incliné qui miroite l’action du plateau tout en laissant transparaître les comédiens qui passent derrière pour devenir, par exemple, musiciens et chanteurs accompagnant le récit.
Passons donc sur les débats inhérents à la transposition fidèle ou non de romans à la scène pour en venir à un constat tout simple : la proposition de Dorian Rossel et de sa troupe « élargie » (le spectacle est conjointement présenté par deux compagnies !) a plus d’un atout pour emballer différents publics.
Avignon OFF 2014
Jusqu’au 23 juillet – 15h00 à la Caserne des Pompiers