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Que se passe-t-il dans la tête du spectateur ?

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Billets critiques sur le spectacle vivant & interviews


Le crocodile trompeur / Didon & Enée

Publié par Saad sur 10 Décembre 2013, 11:37am

Catégories : #Les pépites du spectateur, #théâtre contemporain, #Opéra-théâtre, #Création 2013, #Hors des sentiers battus

Le crocodile trompeur / Didon & Enée
Le crocodile trompeur / Didon & Enée
Le crocodile trompeur / Didon & Enée

D’après l’opéra de Henry Purcell et d’autres matériaux / mise en scène : Samuel Achache Jeanne Candel / direction musicale : Florent Hubert / photo : Victor Tonelli -- Vu le 7/12/13 à la MC2-Grenoble

 

   Quelle est la façon la plus sûre d’accoucher d’une très grande œuvre ? A en juger par le génialissime Crocodile trompeur, il convient de déployer sa vision dans un esprit de liberté tellement élevé que l’on peut alors franchir bien des conventions – pour ne pas dire limites – et atterrir dans un endroit vierge où il semble désormais possible de réunir tout ce qui s’opposait dans le monde précédent.

 

   Certes, la fusion (ou encore la juxtaposition) des genres n’est pas un concept totalement nouveau, on pourrait même citer diverses compagnies telles que Acide Lyrique, Comic’Opera ou le très célèbre (et défunt) duo Ultima Récital pour ce qui concerne la cohabitation d’airs lyriques et de situations comiques. Mais ce qui se joue dans Le crocodile trompeur est une fusion des genres d’une finesse complètement inouïe.

   Au tout début, il y a ce monsieur complètement anodin qui débarque alors que la salle reste éclairée et qui se met à parler de la similitude entre les rapports mathématiques et les rapports musicaux (tierces, quartes, quintes etc…) et qui digresse tellement qu’il finit par parler de l’état de conscience dans lequel on se trouve dans les quelques fractions de secondes qui précédent la bascule dans le sommeil. Parti pris assez risqué dans la mesure où l’amorce du spectacle est pour le moins décalée…mais comme le spectacle enchaîne presque aussitôt avec un sketch ABSOLUMENT déjanté et d’une efficacité humoristique désarmante, on oublie quasiment cette longueur initiale.

   Ce sont donc quatre médecins légistes habillés en costard que l’on voit évoluer sur l’avant scène meublée par leur fantaisie extraordinaire. Quel rapport entre quatre gugusses en costard/nœud papillon et Didon & Enée pour qui ne s’est pas renseigné au préalable sur le spectacle en se documentant ça et là ? Probablement aucun et ce n’est manifestement pas bien grave, surtout lorsque à la vue de cette scène on est pris d’hilarité comme d’admiration face au génie burlesque qui se déploie dans une virtuosité de jeu et de composition rarement atteinte au théâtre. Car non seulement les situations sont délirantes mais les quatre gugusses parlent une sorte de « Franglais » jubilatoire, qui ne fait qu’enfoncer le clou.

   Un mélange des langues française et anglaise que l’on retrouve tout au long des passages revisités façon burlesque émaillant cet opéra, comme dans ce sketch dépouillé où le comédien Vladislav Galard crée un monument de drôlerie en parlant d’une grappe de raisin censée dissimuler un grain empoisonné AVEC un accent et des mimiques de gentleman british plus vrai que nature. Rapport comique aux subtilités de chaque langue qui fait donc l’objet d’un réjouissant leitmotiv dans un spectacle qui se joue par ailleurs des codes du théâtre contemporain avec là encore une grande subtilité.

   Lorsque le rideau tombe à la fin du « premier acte » pour laisser découvrir le décor correspondant à la grotte du « deuxième acte », on a l’impression d’assister à une sorte de clin d’œil malicieux à la gravité souvent pompeuse du théâtre contemporain. A droite, un gars perché sur un amoncellement de gravats (ayant trait dans l’histoire à la destruction de Carthage) qui reçoit de temps en temps des restes de détritus sur la tête, et en fond de scène un décor qui mêle dépouillement et ingénierie avec un ensemble de mécanismes qui une fois enclenchés produisent des actions qui ne servent à rien. Difficile de ne pas songer au ridicule des usines à gaz contemporaines.

   Moqueuse, la pièce l’est assurément, mais toujours en finesse. Car quand on assiste à des gags très tapageurs (doux euphémisme) ceux-ci font plutôt figure d’ode au génie qui peut se déployer dans la pratique de la comédie, conduisant à l’évidence que la gratuité du plaisir est un élément central dans cette grande variation sur l’opéra Didon & Enée.

   Plaisir qui se retrouve donc aussi dans les parties chantées (et pour le coup réarrangées pour un petit ensemble cordes & cuivres) et qui soulève le constat fascinant que le burlesque ne semble en rien transgresser les tragiques lamentations de la malheureuse Didon. Le rythme remarquablement posé du spectacle doit y être pour quelque chose. L’excellence des comédiens aussi. Bref, on pourrait spéculer sur le génie de la pièce sur des pages et des pages tant l’alchimie est présente. C’est bien logique, puisque Le crocodile trompeur est aussi passionnant qu’un chef d’œuvre instaurant de nouveaux repères dans l’évolution du théâtre. On n’a pas fini d’en parler… et c’est tant mieux.

 

Prochaines représentations :

  • Du 27 décembre 2013 au 12 janvier 2014 au théâtre des Bouffes du Nord-Paris
  • Du 31/03/2014 au 01/04/2014 Théâtre Firmin Gemier La Piscine - CHATENAY-MALABRY
  • Les 4 & 5 avril 2014 à Sortie-Ouest – Béziers
  • Les 12 & 13 mai à l'Espace Malraux - Chambéry
 
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